Friday, July 08, 2005

nuit sans liliana

Des chasseurs sont revenus dans la soirée et ont garé leurs véhicules cabossés devant la maison de l’un d’entre eux. Laurine a vu le sang sur les poignées des portières et ce sang l’empêche de dormir. Elle sait que dans l’estuaire de la Loire, beaucoup de chasseurs sont fiers de ne jamais se séparer de leur fusil et de braver les lois protégeant les espèces en voie de disparition.

Pourquoi Liliana n’est-elle pas rentrée ?

Ils parlent en tordant la bouche et sont si gros. L’un d’entre eux a eu quelque peine à descendre de sa voiture et d’autres l’ont aidé. Tous riaient bruyamment.

Liliana !

Des gouttes de sang tombaient une à une régulièrement du coffre de la plus grosse des voitures où attendaient deux chiens énormes.

Liliana !!

Le silence de la maison est tel que Laurine pourrait retrouver dans l’obscurité tous les réveils, toutes les montres, pendules et horloges de la cave au grenier rien qu’au bruit. Au loin, la corne d’un navire qui remonte la Loire. C’est marée haute. Puis ce sont les piaulements réguliers des petits affamés d’un couple de moyens-ducs qui nichent non loin dans un bouquet de chênes. Laurine pense à Antoine. Comment le prévenir ?

Dans la rue de Grissac à Saint-Jean de Boiseau, le téléphone est toujours coupé. Laurine ignore le nouveau numéro du portable de son papa. Le pont de Cheviré est interdit aux piétons et aux cyclistes et de toute façon il est trop loin.

Un autre coup de corne lui parvient de la Loire. Laurine voit les bateaux des pêcheurs de civelle et les canots amarrés près du bac. Mais oui, bien sûr, c’est la solution. Elle s’habille rapidement, sort de la maison en courant, et cherche une embarcation, une petite, avec des rames. La marée montante va l’emporter à l’extérieur du méandre, contre les appontements sud, ceux contre lesquels le bac effectue ses stations tous les quarts d’heure, au grand jour.

A dix ans, Laurine n’a pas assez de force pour tirer sur la rame, elle pagaie, elle guide le bateau porté par le courant. Elle distingue les grands arbres qui se rapprochent, éclairés par une lune laiteuse et blafarde. De la rive qu’elle vient de quitter, des aboiements sonores et des claquements de portières lui parviennent.

Papa, Liliana, j’arrive !

Au milieu du fleuve, des reflets pulvérisés dansent dans les remous noirs. Le vent apporte des stridences étouffées de la ville, bruits de trains, roulements de camions, sonneries lointaines. En aval, dans le méandre suivant, la haute silhouette de la tour à plomb de Couëron se détache sur une tapisserie de haute lice trempée d’encre de chine, aussi trouée d’étincelles que la cible de carton qu’un militaire vient de cribler dans un stand de tir.

La fillette saute de la barque, la traîne dans la vase, et ses bottines font des bruits de succion.