Sunday, November 21, 2004

sale coup

PREMIER CRI

On voudrait ne pas être là et on y est. On n’avait pas demandé à y être mais on devait y être un jour.
Entre les deux abîmes de l’infini et du néant, entre deux big-bang. Dans une déchirure à se repasser, une onde qu’on lègue, une histoire de particules élémentaires, de cri primal et de silence éternel.
Ce sont d’abord de gros avions à hélice, lents, bruyants, en rase-mottes. Je ne les voyais pas encore. Quelques années plus tard, je les ai observés dans le ciel. Constellation superstar, Double queue, Lookheed et hélicoptère Sikorsky. Ce furent ensuite des camions que je vis ensuite gigantesques, crissants et sales, avec petite cabine très en arrière, Berliet, GMC, Saurer. Ce sont aussi de grosses voitures, Vedette, Standards, Arondes, Tractions, 202, et des cars Chausson. Ce sont enfin les tanks, ceux qui manœuvraient encore sur les pavés de la vieille ville de Tours. Des chars, dont les chenilles faisaient trembler les vitres. J’ai dû crier très fort pour couvrir ce tintamarre, j’ai percé les tympans de la sage-femme.
J’ai voulu alerter le monde de mon innocence.
Depuis plusieurs semaines déjà j’entendais rugir toute cette ferraille.
Lorsque aujourd’hui je lis la presse de l’époque, je suis frappé par une double recherche : celle de la vitesse, celle des secrets de la matière. De nombreux accidents d’avion remplissent les pages. Prenons au hasard, le 28 septembre 1949 : un avion mexicain heurte un volcan : 28 morts, deux bombardiers anglais se heurtent en vol : 12 morts, un B29 tombe à Oklahoma. Mais aussi : la liaison d’Air-France Paris-Nouméa réalisée.
Le lendemain, le 29, l’avion de Marcel Cerdan s’écrase aux Açores. Le 30, un avion américain se montre plus rapide que le son de plusieurs centaines de kilomètres à l’heure. Et c’est comme ça tous les jours. Et dans le même temps, les recherches sur l’énergie nucléaire se poursuivent. Quatre ans après Hiroshima.
En novembre, Le Monde fait sa Une sur ce titre : « Du métal changé en or grâce à l’énergie atomique ». Le jeudi 24, il lance la nouvelle : « Le premier milligramme de plutonium français isolé grâce au bombardement par neutrons ralentis de l’uranium 238 »
Ce sont des cris qui se répercutent, des cris qu’on n’oublie pas devant toutes ces fleurs de métal, ces voleurs de feu, ces chutes d’Icare.
Parfois, je parviens à les oublier tous ces cris.
Je me mets face au soleil, ce bombardier, et je pense aux amoureux fervents et aux savants austères, à la censure qui a frappé six poèmes des Fleurs du Mal jusqu’au 31 mai 1949. Embryon de trois mois, j’ai dû crier en entendant le Président de la Cour de Cassation casser le jugement inique rendu le 27 août 1857 contre celui qui a écrit : « J’ai pétri de la boue et j’en ai fait de l’or ».
J’ai crié quand on a dérobé la faux de la mort. Ouest-France du 13 octobre 1949 : "Prague. Un voleur a dérobé la faux de la mort qui orne une pendule ancienne du musée national de Prague. La direction de ce musée dans un communiqué prie instamment le voleur de vouloir bien rendre cet objet sans intérêt pour lui mais dont la mort ne peut se passer". Après les voleurs de feu, les voleurs de faux.
J’ai patienté encore un mois et demi. Puis le 29 novembre j’ai crié. J’ai crié parce qu’entre homme et femme ça criait déjà, parce que ça criait déjà partout.
A présent j’écris pour joindre mon cri aux autres, répétés par mille sentinelles.
J’écris pour qu’on entende tous les cris, pour dire la brûlure du feu, du métal, du soleil, la froissure du papier, les coups de griffes et les coups de faux.

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