Friday, March 11, 2005

le président

Le plus grand des hasards a voulu que je réunisse ces trois documents.


PREMIER DOCUMENT :

Hôtel Lapidaire, le 31 fièvrieux
J’habite près d’une gare. La nuit, quand le vent est à l’Ouest, j’entends les trains. Je les imagine au passage des gares, sans ralentir, frôlant des feux rouges ou verts à 300 km/h. Parfaitement, à 300 km/h. Du Croisic à La Baule non. On l’accepte très bien d’ailleurs, car ce n’est pas un long trajet. De Saint-Nazaire à Nantes, c’est pas encore ça, mais le TGV dépasse quand même les 120 km/h. Jusqu’à Angers, c’est encore plus rapide puisque 35’ suffisent à faire 80 kms. Mais c’est après Chartres que les 300 kms/h sont dépassés, on le sent à l’inclinaison des rames dans les virages.
Bon, j’espère que ce contre-temps n’aura pas d’incidence sur mon examen professionnel.

Le 23,2 descendres
Hier (ou avant-hier), j’ai écrit au Président. La petite mignonne de l’hôtel m’a dit qu’elle lui avait porté ma lettre en mains propres.
A la réception, c’est très high-tech, très propre. On voit le personnel en blouse blanche. Tout est très propre, très calme d’ailleurs ici. Le matin, un homme très poli, propre sur lui, vient me voir. Il est sans doute très seul, et c’est pourquoi je lui parle volontiers de moi. D’ailleurs, je l’avoue, ça me fait du bien de lui parler, et il a un tic, souvent il dit le mot « bien ». Ce que je ne lui dis pas, c’est que bientôt, quand le Président du jury m’aura trouvé une nouvelle date pour que je passe mon épreuve professionnelle, je rentre chez moi, à Nantes, près de la gare. J’attends. Je le ménage. Je sais que ça va le peiner. D’ailleurs, il trouvera sûrement d’autres clients de l’hôtel pour papoter. D’ici-là, je le laisse emporter mes feuillets datés, car il veut bien s’occuper de les mettre au propre, et il les trouve « intéressants ». Et comme ça ils risquent moins d’être perdus.

Luncredi 10 janvril 1020
A midi, j’ai mangé du camembert, mon fromage préféré. Il y avait des comprimés de plusieurs couleurs à avaler : sans doute de la publicité.
Le Président du jury ne m’a toujours pas écrit. Il y a peut-être une grève de la SNCF. Ou bien les épreuves de conducteur de train ont été reportées. Dès que je les aurai passées : hop ! Je prends le premier Paris-Nantes, même si je dois payer un supplément pour la réservation. Quand on pense que bientôt le TGV roulera à 400 km/h en service commercial ! Evidemment, d’ici-là, on aura trouvé la solution pour que les ruptures de caténaires soient exceptionnelles.


DEUXIEME DOCUMENT :

Etude de Maître Arthur Pacific
Avocat du Barreau de Paris
231 rue Saint-Lazare
PARIS 8è
Paris, le 21 mars 01

A Monsieur Pierre Dupont
Prison de la SANTE
15 de la 11è
Boulevard Arago
PARIS 14è

Cher monsieur,

Je vous remercie du versement de 1200€ que vous avez bien voulu faire parvenir à mon étude à titre d’arrhes.
J’ai pu accéder à votre dossier. L’accusation ne détient pas de preuve décisive de votre culpabilité. Il est toutefois établi qu’une pierre a bien été jetée depuis le pont où vous avez été aperçu le lundi 23 octobre 1999 vers 18h par un témoin de bonne foi.
Votre intention, dites-vous, est de faire part au procès de votre passion pour les trains depuis l’enfance afin de mieux justifier votre présence sur les lieux du déraillement. J’aimerais assez plaider l’erreur judiciaire. Un fâcheux concours de circonstances. Pour finir, une péroraison à la Démosthène en brandissant quelques numéros de La Vie du Rail prétendument trouvés chez vous.
Par ailleurs, la seule victime de l’accident (je dis bien accident) n’est pas morte. Sa blessure à la tête a entraîné une invalidité à 100% certes, mais enfin le voyageur est vivant.
Je garde bon espoir d’arracher le non-lieu. En l’état actuel des choses, le Président manque manifestement de preuves pour vous condamner.
Je vous serais reconnaissant de m’adresser un nouveau chèque provisionnel de 1200€.
Sentiments cordiaux
Maître Arthur Pacific


TROISIEME DOCUMENT :

AFP, le 24 octobre 1999

UN TGV DERAILLE A LA SUITE D’UN ACTE DE VANDALISME
Hier vers 18h, un TGV Nantes-Paris-Montparnasse, lancé à pleine vitesse entre Chartres et Paris, a percuté une pierre de grandes dimensions tombée sur la voie quelques instants plus tôt. La motrice et plusieurs rames ont déraillé et se sont couchées sur le bas-côté. Les secours parvenus rapidement sur les lieux ont déploré une dizaine de blessés légers et une victime plus gravement atteinte à la tête, mais dont les jours ne semblent pas en danger.
L’enquête s’oriente vers la thèse du vandalisme. En effet, un jeune homme a été appréhendé peu après la collision, alors qu’il se trouvait sur le pont d’où le bloc de rocher est tombé. Il a été placé en garde à vue. Le trafic a pu être rétabli assez rapidement. Pour Louis Gallois, le Président de la SNCF, aucune défaillance technique ou humaine n’a été relevée.


Voilà.
Troublant n’est-ce pas ?
J’ai un ami prof de français en lycée, je sais qu’il réfléchit à un groupement de textes sur le train en seconde et en première, fumeurs et non-fumeurs. Je vais lui donner ces trois documents. Ça lui fera plaisir.