Sunday, December 12, 2004

les atours de Madame

J’ai chez moi, chose inexplicable, un tableau dont personne ne parle jamais. De grands losanges noirs, blancs, orangés, bruns, frangés, avec des bords effilochés, des bulles, des fils : Les atours de Madame. Il ne s’intitule pas Madame change de toilette. Non. Ce n’est pas non plus Madame a grossi. Non, ce sont Les atours de Madame. Pas de mention de son nom. Qui a porté ces morceaux de tissu ondulés ? Il ne peut s’agir de la jupe d’une fillette. On croit deviner une série d’œillets : qui sait, peut-être ceux d’un corset ? Et puis, ce n’est pas La dame, c’est Madame. Madame, ça la rend unique, c’est pas comme Madame Lemercier. Madame Lemercier a une toilette. Elle porte des robes. Madame a des atours.
Ce n’est pas une large brosse avec ses tressautements qui a su dire le feuilleté du corsage, les plis du satin, le marouflé des sous-vêtements, en haut, à gauche, dans l’ombre. Ce sont le corsage, le satin, les sous-vêtements eux-mêmes. Je les dévore. Etalés. Offerts. Prometteurs. Assez de nus ! Victorine Meurent, combien de clients post-mortem elle a eus à Orsay ! J’ai une Madame. Son intimité. Ses dessous. Pour moi seul

J’ai changé le tableau de pièce. Pour la lumière. On voit mieux les détails. On se rend mieux compte des volumes et on se représente bien les formes et les courbes qui ont rempli les atours. On sent que Madame a eu besoin de les quitter. Ou qu’on les lui a enlevés. Est-elle morte ? Non, ce n’est pas possible. Peut-être la rencontrerai-je un jour ? Peut-être même m’attend-elle ? Sinon, pourquoi aurais-je ses atours chez moi ?

Je suis allé hier chez Sonia, une amie qui fait de la peinture à ses moments perdus. Du non-figuratif. D’abord, Eva, sa fille de neuf ans, m’a emmené dans l’atelier et m’a fait découvrir les dernières toiles de sa maman. Elle donne un titre à chacune : Bouquet de roses, Les chatons endormis, Le gâteau à la crème. De retour au salon, Sonia me parle de son passe-temps : «Un jour, je m’apprêtais à jeter une croûte. Une fois de plus. Eva n’a pas voulu. La bichette a dit : « Non, celle-là, ce sont Les atours de Madame ». Alors je ne l’ai pas jetée. Je crois bien que c’est à Agnès que je l’ai donnée. Tiens, à propos d’Agnès, tu l’as revue depuis votre rupture ? Moi, ça fait longtemps. »

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