Monday, June 20, 2005

les volets

Je n’ai la télévision que depuis un an et demi. Je n’étais pas l’ennemi irréductible de cet outil de communication moderne, mais je n’avais guère le temps de la regarder et à présent, je l’ai.

Et puis, ma fille a peu à peu exigé de pouvoir regarder des vidéos. Et à l’habitude pour moi de regarder le « Vingt-heures », s’est ajoutée celle de regarder le film qui suit.

J’ai mis l’appareil dans la chambre côté rue, de cette façon, il ne dérange personne côté jardin. Seul inconvénient léger, l’été : l’absence de volets. La rue est très étroite, c’est une ruelle, une venelle, la lumière est donc atténuée. Mais quand même, à 21h, à 22h, en juin, en juillet, il ne fait pas nuit, et je verrais mieux mon écran, qui est tourné vers la fenêtre, si la pièce était davantage obscurcie. Vous me direz : « qu’attends-tu pour faire poser des volets ? » Oui ! Mais voilà, la fenêtre, pour cela, doit être changée. J’en ai commandé une sur mesures, justement à l’époque où j’ai acheté le téléviseur. Et depuis, elle est couchée dans mon salon. Elle attend monsieur Varlope, le menuisier qui m’a promis régulièrement de venir mais qui est débordé. D’ailleurs, je ne m’inquiète pas, tout le monde me le dit : aujourd’hui, c’est impossible d’avoir un artisan. Il faut attendre des mois. Au début, je l’appelais, et, à chaque fois, il promettait : « No non je ne vous oublie pas monsieur Robin ».

Et comme je sais que le père Hubert, qui habite en face, est copain avec Varlope, je passe par lui depuis plusieurs mois. « Dis-donc Hubert, ton copain Varlope est toujours pas venu. Dis-lui que les nuits de pleine lune, je pense bien à lui ». La réponse que j’obtiens, c’est invariablement « Il va venir ! Je vais lui rappeler. Je crois qu’il a eu des problèmes de santé » ou alors : « Oui, je sais, mais il a vraiment beaucoup de travail en ce moment ».

On dirait que le père Hubert, lui, il a un problème inverse du mien. Il a des volets et il ne les ferme jamais ! J’en suis sûr puisque sa fenêtre du premier est juste en face de la mienne. Encore heureux qu’il n’allume jamais sa pièce au premier, sinon, en raison de l’étroitesse de la ruelle, la lumière entrerait chez moi et j’aurais encore plus de mal à regarder le vingt-heures et le film.

Faut dire que le père Hubert, il roule pas sur l’or, et il doit économiser sur l’électricité. Avec sa pension d’invalide de guerre, il n’a droit à aucune fantaisie : il a des volets, mais pas la télé.

S’il voulait, le père Hubert, il pourrait sans doute se procurer un vieux téléviseur à peu de frais chez Emmaüs. Mais il ne pourrait pas payer l’installation de l’antenne ni surtout la redevance. Et il n’a pas envie d’avoir d’ennuis, il tiendrait à déclarer l’appareil. De toute façon, c’est un couche-tôt. L’hiver, il n’y a pas de lumière chez lui. Pas de bruit non plus. Quand je me lève, lui est debout depuis longtemps sans aucun doute.

Hier soir, il faisait très chaud, j’avais ouvert la fenêtre. Comme chaque année à la mi-août, des étoiles filantes illuminaient la voûte céleste de temps à autre et l’écran du téléviseur qui diffusait un navet me renvoyait leur sillage reflété. Ma fille était ravie. Tout d’un coup, nous avons entendu tousser derrière nous. J’ai pensé au père Hubert. J’ai scruté les reflets sur l’écran. J’ai fini par distinguer des yeux. C’était lui. Il suivait le navet attentivement. J’ai chuchoté à ma fille de ne pas faire de bruit. Nous sommes descendus silencieusement dans l’obscurité, puis, allongés dans l’herbe au bout de la rue, nous avons fait un vœu à chaque nouvelle étoile filante. Et j’ai su que la fenêtre côté rue ne serait jamais fermée par des volets.

1 Comments:

Blogger Christine Dujardin said...

bravo, j'aime cette histoire

12:32 PM  

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