Friday, December 31, 2004

le goût de la lettre C

A la place d’une petite madeleine trempée dans du thé, j’ai connu le canard. Chaque jeudi (le mercredi d’aujourd’hui), à la fin du repas offert par ma marraine, on m’offrait un sucre trempé dans du café. Je sentais que le canard était un grand moment. Signe de respectabilité, accès à un privilège d’adulte, mais aussi arôme venu de la torréfaction située rue des Halles, laquelle existe toujours à Tours.
Pourquoi d’autres goûts viennent de la lettre C, je ne saurais dire pourquoi. Le samedi, mon grand-père chargeait son « Aronde » de mille denrées alimentaires ou non avant de rentrer dans son hameau de « Mareuil ». Parmi celles-ci, il y avait les brioches achetées elles aussi dans une boutique qui existe toujours place de la gare, la présure pour faire de la caillebotte (tradition charentaise), des cacahuètes achetées à Pépino le célèbre nain posté devant la gare, et du cake.
Certains mangent les Petits Lu en commençant par les coins, parce qu’ils sont plus cuits, ou parce que ce sont les coins. J’étais de ceux qui savent patienter. Un jour, après avoir avalé la partie farinée de ma part de cake, je suçai avec soin le meilleur, les fruits (cerises, écorces confites, raisins de Corinthe), et les disposai religieusement au bord de mon assiette. Au moment béni où l’absorption retardée de ceux-ci allait produire l’extase de mes papilles, ma grand-mère, croyant bien faire, prit mon assiette et jeta, ô névrose, les précieux fruits dans le caniveau.
Comme le canard, le mijet consiste à humidifier. De l’eau, du vin, du sucre, des petits morceaux de pain, c’est du mijet, la soupe d’été. Au-dessus de la table dressée en plein air le soir, hannetons et chauve-souris. La grand-mère paternelle de Mareuil était caillebotte et petits suisses (présentation inchangée cinquante ans après), ma mère était lait de ferme. Un week-end chez les grands-parents maternels dans le Loir-et-Cher se terminait invariablement par la traite chez le fermier Baro (prononcé Bario). On ramenait une laitière pleine de lait crémeux et un sac de blé « pour les poules » de ma marraine. C’était des poules citadines, donc difficiles. Elles avaient même droit à des coquilles d’huîtres pilées. Les œufs qu’elles pondaient auraient mérité d’entrer dans la composition d’omelettes faites par Balzac mais on les mangeait le plus souvent à la coque avec des mouillettes.

0 Comments:

Post a Comment

<< Home