Sunday, January 02, 2005

zéro défaut

Je me souviens que vers neuf ou dix ans, les dimanches où venaient des invités, ma mère me demandait de recopier le menu sur des cartons de couleur. Il me fallait convertir le trivial en devinette poétique, le vocabulaire épicier en fleurs de rhétorique, le terreux et le sanguinolent en signalétique digne des grandes toques.
Le plaisir était au rendez-vous quand les convives approuvaient mes trouvailles par des hochements de satisfaction et que la lecture de mes cartons se tenait prête à réparer l’éventualité d’un plat brûlé.

A l’adolescence, je découvris les plaisirs de la duplication. Il y eut l’odeur de la pierre humide, celle de l’alcool, celle de l’encre et des stencils de la ronéo Gestetner. Il y eut la peinture noire de l’extrême-droite Occident maculant nos affiches murales au pochoir en 68. Il y eut le carbone des machines à écrire Olivetti. Il y eut le puissant parfum de l’encre violette que je fabriquais chaque semaine dans ma classe avant de remettre à niveau les petits encriers de porcelaine blanche.

Aujourd’hui, copie, photocopie, reproduction, reprographie, publication assistée par ordinateur, imprimantes, scanners, reconnaissance de caractères, traducteurs, éditeurs, publishers, magnétophones, magnétoscopes, camescopes numériques, graveurs, duplicopieurs préparent l’arrivée des cloneurs de demain, quand nous serons enfin face à nous-mêmes. Alors, il n’y aura plus aucun conflit, plus de plagiat, je serai indéfiniment égal à moi-même, un réplicant lisse, équanime, conforme, reproductible, prévisible, interchangeable avec moi-même, fiable, garanti à vie, numéroté, complet, total, définitif, accompli, achevé. Ce jour-là, on m’aimera enfin. Je serai parfait.

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